Les amers tempèrent l’appétit et orientent la digestion

Nos ancêtres cueilleurs chasseurs avaient une alimentation basée sur les plantes sauvages, qui elles-mêmes se chargeaient en substances amères pour dissuader les différents prédateurs (hommes, herbivores, insectes et leurs larves, autres végétaux).

Concernant les humains,  il s’est donc établi un équilibre entre le danger toxique de ces substances ( et donc leur rejet au moindre contact en bouche), et les bénéfices en terme de nutrition et de résistance: nos ancêtres, comme beaucoup d’herbivores/frugivores contemporains, ont appris à choisir et consommer des végétaux dont l’amertume “supportable” était en fait un gage de nutrition judicieuse et de bonne santé.

Et puis sont arrivées les céréales, les fruits bien juteux, et surtout les sucres “à tout va” qui ont reformaté nos goûts, ainsi que nos modes de nutrition. Et nous sommes devenus des orphelins de l’amertume, rejetant au moindre contact amer tout aliment amer. Ce qui a entraîné les producteurs de légumes à sélectionner des végétaux avec toujours moins d’amertume (voir plus haut).

Parallèlement, les progrès en biologie ont mis en évidence tout un système immunitaire-bis, qui réagit en quelques secondes, et ceci dans tout le corps, grâce à des récepteurs (voir plus haut) de type TAS2R, primitivement développés contre les infections parasitaires ou bactériennes, mais qui réagissent également aux substances amères. La Nature est économe, en voici encore un exemple…

Tout au long de la digestion, un “réflexe amer” salutaire. 

Rappelons-nous la chaîne des récepteurs d’amer tout au long du trajet digestif: la langue et le palais (sans oublier les sinus par la voie rétro-nasale), puis l’oesophage et l’estomac, puis les intestins et les glandes digestives. Au niveau de chaque tissu, une palette de récepteurs parmi les 25 répertoriés chez l’homme, qui seront sensibles à des molécules amères parmi les centaines de substances végétales ou synthétiques (médicaments). Et ces récepteurs vont accompagner le trajet alimentaire sur tout leur parcours.

Ainsi, dès la prise en bouche, une chaîne d’événements neuronaux et endocriniens va se mettre en route, le « réflexe amer ». 

 Médié par la libération de l’hormone gastrique gastrine, ce réflexe entraîne une stimulation globale de la fonction digestive qui de proche en proche fait participer au mieux tous les organes concernés.

Prenons le cas d’une prise préalable de substance amère (un apéro à la gentiane), avant le repas.  En quinze à trente minutes, un  appétit s’installe, les  sucs digestifs s’écoulent, et les intestins commencent à se contracter en prévision de la digestion, à venir. Les  glandes salivaires  augmentent leur production de salive riche en enzymes visant à décomposer les amidons complexes en oligosaccharides plus petits et plus faciles à digérer. 

Dans l’estomac, l’hormone gastrine  stimule la sécrétion d’acide chlorhydrique. Cette acidité commence à détruire bactéries et parasites mêlés à la nourriture, aide à décomposer les protéines, et améliore la biodisponibilité de nombreux minéraux (en particulier le calcium).

Notons au passage qu’une faible acidité gastrique est associée à une variété de troubles allergiques et   immunitaires, notamment l’asthme, les troubles cutanés tels que l’eczéma, le psoriasis et la rosacée, les maladies de la vésicule biliaire et l’arthrite. 

La gastrine stimule également la sécrétion de pepsine, une enzyme nécessaire à la décomposition de grosses molécules de protéines en peptides plus digestes, et à la production de facteur intrinsèque, nécessaire à l’absorption de la vitamine B12. 

Les muscles lisses de l’estomac sont également stimulés par le réflexe amer, qui augmente le taux de vidange gastrique et contracte le sphincter œsophagien pour empêcher le mouvement du contenu acide de l’estomac vers le haut dans l’œsophage. Remarquons ici que les amers trop puissants (toxiques?) provoquent un vomissement de dégoût dès la mise en bouche (parfois dès l’inhalation), alors que les amers “tolérés” calment  au contraire le rejet alimentaire.

Le contenu gastrique ainsi prédigéré passe dans le jéjunum, premier segment de l’intestin grêle où s’effectuera tout le processus digestif (le “gros intestin” ayant plutôt un rôle de tri et de récupération des déchets provenant de l’intestin grêle). Dans l’intestin grêle, la stimulation causée par le goût amer incite le foie à augmenter sa production de bile vers la vésicule biliaire, également à vidanger cette vésicule dans l’intestin.  La bile est nécessaire à la digestion des graisses et à l’absorption des nutriments liposolubles tels que les vitamines A, D et E. Mais la bile a une autre qualité: elle est amère ! Et elle vient renforcer l’action des amers de la ration alimentaire.

L’effet des amers s’étend également au pancréas: les sécrétions d’enzymes digestives (lipases, trypsines,amylase) sont augmentées, ce qui favorise la décomposition complète des nutriments en leurs unités absorbables, empêchant la formation de gaz lorsque de grosses molécules sont attaquées par des bactéries plus loin dans l’intestin grêle. La décomposition complète des protéines est particulièrement importante, car les protéines non digérées constituent des antigènes nocifs pour un bon équilibre immunologique des muqueuses digestives, la maladie coeliaque en découlant directement.

Toujours concernant le pancréas,les amers provoquent une  stimulation de la sécrétion d’insuline  (voir plus loin).

Ainsi, l’incorporation de substances amères dans la ration alimentaire permet un transit digestif régulé, un travail hépatique et pancréatique amélioré, une meilleure assimilation des nutriments via une muqueuse assainie, et un microbiote normalisé pour éviter diarrhées et flatulences. On retrouve ici les promesses des préconisations des premiers phytothérapeutes comme Paracelse ou Hildegarde de Bingen.

Pour démarrer une cure d’amérothérapie à but digestif, vous avez le choix des apéritifs à base de gentiane,de quinquina, de noix ou d’orange  amère. Suivi d’une salade qui peut réunir pissenlit (sauvage et cueilli par vous-même), chicorée, cresson, concombre, et radis noir. Un plat (voir plus haut) de type quiche dont la pâte est “chargée” en amers. Et en dessert, ne pas oublier le gingembre … mais toujours en évitant de le sucrer. Pour terminer, une liqueur due aux moines thérapeutes ? Plutôt du Fernet-Branca, qui lui n’est pas sucré…